À propos du Comité des familles pour survivre au sida (2003–2013) | Les médias parlent des familles vivant avec le VIH | Reda Sadki | Serge Cannasse
Comité des familles : une école de santé
3 février 2010 (Revue du praticien Médecin généraliste)
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« Nous croyons dans la capacité des gens à dépasser leur cas personnel ». Les séropositifs ont le droit d’aimer, d’être aimés et de faire des enfants
Mieux que l’aide, l’entraide
Les médecins doivent transmettre l’histoire du sida à leurs jeunes collègues
Fondateur de l’émission radio « Survivre au sida », Reda Sadki anime le Comité des Familles vivant avec le VIH.
Comment est née votre association ?
Fin 1995, l’épidémie de Sida était à un tournant important de son histoire : traitement par bithérapie, apparition des antiprotéases, preuves de l’efficacité de la politique de réduction des risques pour les usagers de drogues. L’année précédente, une première victoire contre le virus avait été remportée, la démonstration de l’efficacité de l’AZT dans la transmission mère-enfant.
La radio Fréquences Paris Pluriel m’a alors permis de faire une émission donnant la parole aux personnes qui étaient en train de vivre ce tournant : « les Maghrébins en France face au SIDA », aujourd’hui « Survivre au Sida ». Un des objectifs est que des personnes partageant le même problème se rencontrent, de préférence avec une qui l’a réglé pour qu’elle puisse éventuellement aider l’autre. Assez rapidement, de plus en plus de gens ont gravité autour de l’émission : des personnes atteintes, mais aussi des obstétriciens, des gynécologues, des pédiatres, des infirmières, qui avaient un engagement important auprès des familles. Un jour, un jeune homme a téléphoné en nous disant : « Je m’excuse, mais je ne suis pas maghrébin, pas africain, je n’habite pas en banlieue mais à Paris, ma femme est séropositive, nous aimerions faire un bébé, mais nous avons plein de questions. » Quand ils ont eu leur fille, ils nous ont invité à dîner. Je me suis alors rendu compte que nous étions en train de créer quelque chose qui pouvait servir à tout le monde.
Les gens se sont mis à s’inviter les uns chez les autres, ce qui n’est pas simple, parce qu’ils sont géographiquement dispersés et que les réseaux d’entraide qui existaient dans les banlieues pendant les années 80 ont disparu. En mai 2002, nous avons organisé un rassemblement place de la Fontaine des Innocents, à Paris, dont beaucoup de médias ont parlé. Le Comité des familles vivant avec le VIH a été créé en 2003 par une soixantaine de familles qui s’étaient rassemblées à La Courneuve.
L’enquête VESPA a montré que seulement 5 % des personnes atteintes par le VIH s’adressent aux associations. Comment mobiliser les autres ? Comment faire pour que les gens puissent reprendre leur destin en mains, face aux médecins, aux institutions, aux associations caritatives, au virus lui-même, sans être seulement les récipients d’une aide, mais en s’entraidant aussi ? Nous devons inventer.
C’est le Méga Couscous des familles.
Non. Le tout premier événement, c’est en juin 2005 l’organisation d’une rencontre à l’hôpital Saint Antoine, « Faire un bébé », qui a rassemblé plus de 80 personnes alors que nous en attendions une vingtaine au mieux. Il faut le rappeler, parce que le sida, c’est d’abord un problème médical, même si les autres dimensions sont importantes.
La même année, nous avons lancé un appel aux familles vivant avec le VIH pour manger ensemble un couscous à la cité des 4 000, à la Courneuve : le MégaCouscous. Malgré la grève du RER, les gens sont venus. C’était un acte politique important, parce que les gens brisaient la honte, le silence, la solitude. Deux mois plus tard, nous avons organisé la fête des amoureux, pour la Saint Valentin. Au départ, je trouvais l’idée plutôt mièvre. J’avais tort. Des personnes séropositives et leurs proches ont fait la fête pour dire sur la place publique leur droit fondamental d’aimer et d’être aimés, malgré la stigmatisation. Il ne faut pas oublier qu’encore aujourd’hui, les deux tiers des gens refusent de boire un verre d’eau avec une personne séropositive.
Ces trois rencontres sont devenues annuelles. Le dernier Mégacouscous a rassemblé plus de 300 personnes qui, souvent, n’avaient personne avec qui parler de leur maladie. Nous avons également créé un site internet (papamamabebe.net) et poursuivons l’émission de radio (survivreausida.net), qui joue le rôle « d’école de la santé ». Nous croyons profondément dans la capacité des gens à dépasser leur cas personnel pour réfléchir et agir collectivement, si on leur donne ce qui correspond à leurs besoins. La dimension communautaire (par orientation sexuelle ou origine ethnique) a eu son utilité, mais pour être efficaces, il faut aujourd’hui se rassembler.
Vous avez réussi à ouvrir un local en 2008. Qu’y proposez vous ?
Pour le volet médical, nous organisons des groupes de parole pour les couples séro-différents ou pour les personnes qui veulent faire un enfant et des réunions qualité de vie et éducation thérapeutique, où sont invités des intervenants extérieurs (médecin, diététicienne, etc) sur un problème précis, de tout type : drogues, sexualité, annonce de la séropositivité aux enfants, etc.
Ces rencontres nous ont montré qu’en fait, les questions, les réponses, les trajets des gens se ressemblent souvent. A partir de là, nous sommes en train de monter plusieurs projets, par exemple, un parcours de formation pour les couples qui désirent un enfant et un autre pour les femmes enceintes, leur permettant de rencontrer d’autres femmes ayant déjà eu un enfant et des obstétriciens pour des compléments d’information en sus des visites mensuelles chez leur accoucheur ou leur sage-femme. Le plus avancé est le projet « grandes sœurs » de soutien aux femmes qui apprennent leur séropositivité en cours de grossesse (un tiers des femmes enceintes séropositives !), avec l’appui des docteurs Laurent Mandelbrot (hôpital Louis Mourier) et Denis Méchali (hôpital de Saint Denis), un suivi programmé et un processus d’évaluation, comme tout projet de santé publique.
Nous proposons aussi des activités pour les enfants, par exemple un cours de danse hip hop le samedi. Ça permet aux parents de se rencontrer, de dédramatiser leur situation, d’échanger.
Et il y a le repas de l’amitié, une fois par mois, pour le plaisir de manger ensemble, suivi d’un moment fort : la rencontre des mamans et la rencontre des papas.
Etes vous satisfait de la recommandation d’ouverture du dépistage à toute personne qui le souhaite ?
La question, c’est de savoir dans quelles conditions il va se faire, en particulier auprès des hommes hétérosexuels qui vont découvrir leur séropositivité. Qu’est-ce qui va se passer ? vont ils aller voir un médecin pour mettre en place un suivi ? va t’il utiliser un préservatif, ce qu’il n’a peut-être jamais fait avant ? vont ils annoncer leur séropositivité à leurs partenaires ? etc. S’ils n’ont aucun soutien après l’annonce, nous allons vers des catastrophes : pour les hommes, il est extrêmement difficile de parler de sexualité. De plus, en dehors du discours qui en fait de méchants contaminateurs, il ne se dit rien à leur propos. Nous avons des propositions sur ce qu’il faut faire, mais pas les moyens de le faire.
Les relais existent-ils dans la population ?
A ma connaissance, nous sommes la seule association à s’occuper d’abord des familles, c’est-à-dire des hétérosexuels, qui forment au moins la moitié de la population séropositive. C’est le résultat de politiques qui donnent une « priorité absolue » aux homosexuels et ensuite aux immigrés, ce qui ne fait que diviser les problèmes et les gens.
Quels conseils donneriez vous aux médecins généralistes ?
Comme nous tous, beaucoup de médecins ont été complètement dépassés par l’arrivée du sida dans les années 80, avec l’angoisse que cela génère. Je pense qu’il est extrêmement important qu’ils préservent la mémoire de cette histoire et qu’ils transmettent aux jeunes médecins tout ce qu’elle leur a appris, aujourd’hui qu’il y a moins de morts, qu’ils voient moins de patients séropositifs et que ceux-ci vont bien mieux.
Ils ont ensuite un rôle important dans la prévention et le dépistage, parce que les pouvoirs publics ne le font presque plus. Par exemple, auprès des jeunes femmes qui viennent leur demander la pilule, des jeunes hommes qui consultent pour un certificat d’aptitude ou de bonne santé, des couples qui vont se marier et désirent un enfant.
Enfin, auprès des personnes qui apprennent leur séropositivité. Il est douloureux de constater que pas grand chose n’a changé depuis les années 80. Les jeunes gens croient toujours que leur vie est foutue, qu’ils ne pourront plus jamais aimer ou être aimés et qu’ils ne pourront pas faire des enfants. Ils doivent leur dire que c’est faux, que l’on peut vivre avec un traitement et ne pas contaminer la personne qu’on aime. Cela contribuera à lutter contre la peur du dépistage, héritée des campagnes de prévention qui consistaient à faire peur, et à lutter contre la stigmatisation dont sont victimes les personnes séropositives.
propos recueillis par Serge Cannasse
Photos

Comité des familles : une école de santé (1)

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